Début novembre, je termine de corder le bois pour l’hiver. Soudain, un éclair traverse le sentier derrière ma maison. Furtive, fugace, inopinée et rapide, la bête me scruta : proie trop grosse, se dit-elle. Elle continua sa course; emportant avec elle grâce et félinité. Blancheur éclatante sur fond de feuilles orangées fraichement tombées, elle me conquit dès l’instant que nos regards se sont croisés. Taille fine, élancée, oreilles bien tendues, petits yeux vifs dont la profondeur révèle l’intelligence. Propreté indéniable jusqu’au bout de sa queue : que dire de ses ongles? L’élégance redéfinie. Férocité pressentie.
Hermine? Belette? Vison? Marte? Mâle ou femelle?
Que faisait cette bête dans ma cour?
Quelques recherches m’indiquent qu’il s’agissait probablement d’une belette pygmée, femelle ou jouvenceau, dans sa tenue hivernale. Des millénaires ont été nécessaires à cette adaptation. Changer de couleur de pelage du brun au blanc pour mieux se confondre dans l’environnement enneigé afin d’attraper ses proies et se cacher des prédateurs n’est pas chose facile. Chasseresse infatigable, elle se nourrit de menus mammifères tels que les mulots, souris, tamias, écureuils et parfois même volatiles et petits lièvres. Je vous ai parlé du zoo dans ma cour dans une chronique, et bien je dois ajouter celle-ci ma liste d’animaux répertoriés. La mangeoire d’oiseaux explique tout. Elle était en chasse la coquine.
Elle peut vivre 9 à 10 ans en captivité, mais plutôt 2 à 3 dans son milieu naturel. Grande solitaire, sauf pour ses amours qui courent de mars à juin. Temps de gestation : 35 jours. Elle peut avoir 2 à 3 portées annuelles de 3 à 6 petits. Les jeunes sont indépendants après quelques semaines. Le mâle aide parfois à les nourrir.
Il y a plusieurs années, une de celles-ci dévorait les cuisses de mes lièvres pris au collet ; pratique barbare que j’ai depuis délaissée. J’avais identifié la bête par ses empreintes laissées dans la neige et ses multiples terriers, mais sans jamais la voir. Sa fourberie exaltait mon respect et créait aussi un peu de frayeur. Sa réputation n’était plus à faire, j’espérerais néanmoins la rencontrer en sachant très bien qu’elle m’apercevrait la première. Animal nocturne, l’observer dans l’après-midi fut une chance inouïe ou un malheur pour ma dulcinée : le manque
de neige la rend maintenant visible pour moi et ses prédateurs. Faucons, aigles, hiboux, coyotes, renards, chats et chiens la convoitent. Victime des changements climatiques, elle est aujourd’hui menacée, elle qui partage notre imaginaire depuis l’aube des temps.
En innu, on la nomme sik8si8 ou shikush et en atikamekw: sikosiw. Bien que piégée pour sa fourrure, elle est très respectée et fait partie intégrante de leur tradition orale et spirituelle. La légende du Windigo dans la forêt honore son courage. L’Anichinabé Caroline Monnet ou Farine Echaquan la raconte très bien à Radio-Canada Ohdio.
Vous savez que la naissance d’Hercule est étroitement liée à elle? Plus près de nous, Jean de La Fontaine s’en ai inspirée pour écrire la fable: la chauve-souris et les deux belettes. Une comptine ancienne comme le monde l’inclut, vous la connaissez: j’ai vu le loup, le renard et la belette danser. Nous avons notre propre chanson québécoise nommée la belette; ici il s’agit d’une célibataire malcommode. Vous devinez la définition de paroles d’hermine ou de belette: verbaliser ou s’exprimer en termes vagues et sans conséquence pour ne pas être jugé, attrapé, fuir ses responsabilités ou camoufler la vérité. Que de vilains défauts reprochés et quelle réputation pour quelques oeufs volés! La ruse est par moments une nécessité. Trumper n’est jamais simple.
Et que dire du libellé: face de belette! Ici, une image vaut bien mille mots.
Pour terminer, je dois avouer que pour les autochtones, croiser une belette est un mauvais présage: une mort soudaine vous attend. Moi qui étais content! J’espérerai quand même la revoir et penserai à elle avant de me procurer un autre VUS. Un peu moins de carbone sur sa robe immaculée ne saurait nuire. Elle qui est sans tâche, du moins à première vue.